Big Vape : grandeur et décadence de Juul

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Mini-série Netflix Big Vape

Aujourd’hui, je vais vous parler, une fois n’est pas coutume, d’un produit « culturel ». Un produit en rapport avec la vape bien entendu. On n’est pas là pour parler du slibard de Superman ou du xième spin-off de Walking Dead. Non. Aujourd’hui, nous allons évoquer l’histoire, à la fois édifiante, emblématique et quelque peu consternante de Juul à travers une mini-série Netflix, en quatre épisodes, appelée Big Vape.

Jul ?

« Mais keuwaaaa ? Que vient faire Jul ici ? Il vapote ? ». Alors, non, il ne s’agit pas du sémillant rappeur frenchie. En plus, je ne sais même pas s’il vape et, pour tout dire, je m’en tape. Non, là, il y a deux « u ». C’est Juul, la fameuse marque américaine de petits pods très stylés qui fit fureur outre-Atlantique pendant quelques années. Pour beaucoup, ce nom fait partie des inconnus au bataillon. Pourtant, cette entreprise fut à l’origine d’une petite révolution. Juul est même venue en Europe. Oh, pas longtemps, et nous allons voir pourquoi plus loin.

La genèse

Big Vape nous raconte l’histoire d’une startup ayant émergé du cerveau fécond de deux étudiants de Stanford University : James Monsees et Adam Bowen.

On ne va pas tout retracer, mais pour faire simple, Monsees et Bowen décident de s’attaquer à l’industrie du tabac et veulent proposer un produit à risques réduits. Projet louable s’il en est. 

Alors, nos deux jeunes « révolutionnaires » vont s’atteler à la première cause de mortalité évitable dans le monde : le tabac fumé. Leur premier produit sera la Ploom ; un dispositif de tabac chauffé avec une chauffe par gaz. Ca ne marchera pas. Trop compliqué, pas très fiable et à l’utilisation hasardeuse. Viendra ensuite la Pax, un autre dispositif de tabac chauffé à induction (donc électrique). La Pax fonctionnait mieux que la Ploom mais, au final, le relatif succès de la Pax a plus intéressé les fumeurs de cannabis que ceux du tabac. 

Le succès

Après avoir compulsé des décennies de recherches issues de l’industrie du tabac, Bowen et Monsees mettent au point ce qu’on appellera par la suite : les sels de nicotine. Il s’agit simplement d’une formulation acide de la nicotine qui va permettre d’augmenter la concentration de celle-ci tout en limitant le « hit ». Dans la foulée sort la fameuse Juul. La Juul n’est pas une invention originale, comme le laisserait entendre le documentaire. Il s’agit simplement d’un dispositif de vape fonctionnant sur le même principe que celui de Hon Lik ou, plus exactement, comme celui de David Yunqiang Xiu, le véritable inventeur de la vape par chauffe d’un liquide à l’aide d’une résistance dans une fibre, en 2009.

A partir de là, Juul deviendra un succès fulgurant. Trop sans doute car les ennuis n’allaient pas tarder à arriver.

Comme beaucoup de jeunes diplômés de la Silicon Valley, nos deux compères avaient la même idée en tête : changer le monde avec une technologie révolutionnaire, se faire un max de pognon et devenir célèbre. En sortant de fac, peu importe le sujet, il faut trouver une idée et faire comme tonton Steve Jobs en son temps et tous ceux qui sont devenus milliardaires en une journée dans le monde de la tech. C’est un phénomène assez répandu dans cette région du monde. La folie des grandeurs et un poil de mégalomanie s’empare souvent des jeunes diplômés, à n’en pas douter talentueux malgré tout.

Le dérapage

Le premier problème fut que l’intention de départ n’était pas forcément un projet de santé publique. Les propos de Monsees furent assez explicites à l’époque. Et c’est là que bât blesse. La toute jeune société va s’acoquiner avec des requins du marketing qui vont lancer des campagnes de pubs outrancières, clairement orientées vers les jeunes et mâtinées de cool attitude avec des visuels flashy. L’inspiration venait de ce que fait Red Bull. Le ver était dans le fruit. Un nouveau CEO va être recruté en la personne de Kevin Burns, chargé de faire grandir la société. Tiens, ça me rappelle quelque chose ça : Apple, Jobs, Sculley, on dirait que l’histoire se répète et finit toujours de la même façon. Bref, Burns n’étant pas non plus un ange, la suite montrera que les recettes habituelles du monde de la tech finiront par se retourner contre Juul.

Et Burns fait bien son job. Les ventes de la Juul explosent chez les jeunes et c’est un véritable raz de marée dans les collèges et lycées. Le marketing a un effet particulièrement impactant dans les jeunes cerveaux (hélas) et, pour le coup, c’est particulièrement réussi pour la Juul. Des commerciaux de Juul iront même directement dans les établissements scolaires (un comble) pour vanter les mérites de passer à la vape Juul. Mais la déferlante va commencer à inquiéter des familles et les autorités de santé publique ne vont pas tarder à regarder ça de travers. A partir de là, Juul essaiera de redorer son blason avec des campagnes de prévention, de la même façon que pour celle du marketing. C’était le commencement de la fin.

EVALI

Pendant l’été 2019, patatras, c’est le drame. La maladie qu’on allait bientôt appeler EVALI fait son entrée. Des jeunes finissent à l’hôpital voire décèdent après avoir vapoté. Une vague de terreur s’empare de bon nombre de gens outre-Atlantique. Et bien évidemment, la Juul est immédiatement mise en cause. Pourtant, elle n’a rien à voir dans l’histoire. Mais il n’en fallait pas plus pour provoquer une hystérie collective en désignant Juul comme un dispositif mortel pour les jeunes. La guerre était lancée contre la firme alors qu’elle n’était pour rien dans l’affaire. Des collectifs se montent contre Juul et, par effet de rebond bien compris, des politiques s’emparent du sujet à des fins tout aussi comprises.

Juul et Altria

Peu de temps après l’épisode EVALI, Juul va enfoncer le clou de son cercueil en laissant entrer Altria dans son capital à hauteur de 35% des parts. Kesako Altria ? Et bien, il s’agit tout simplement de la maison mère de Philip Morris. La très bonne santé financière de Juul attire des convoitises et c’est donc Big Tobacco qui met son nez dans l’affaire. Le géant du tabac a bien compris qu’il venait de se prendre une claque de cowboy par ce petit objet de vaporisation. Alors autant mettre un pied dedans et profiter du gâteau plutôt que d’essayer de l’éliminer. Dans le business, on est pragmatiques et sans états d’âme. Kevin Burns, lui, ne recule donc devant rien pour augmenter les profits et n’a toujours pas compris dans quoi il évoluait. Grave erreur que Juul va payer le prix fort. Beaucoup de salariés de Juul voient ça arriver d’un très mauvais œil, mais c’était sans compter avec un bonus hallucinant qui allait tomber sur leurs comptes bancaires dans le même temps.

La chute

Ensuite, tout va s’enchaîner. Peu de temps après, Juul s’installe en Europe. La Juul marche bien aux USA parce que le taux de nicotine est de 59mg/ml. Grâce aux sels de nicotine, ça passe très bien pour les fumeurs. Mais en Europe, le taux maximal est de 20mg/ml. La Juul est trop petite et trop peu puissante pour du e-liquide en sels de nicotine 20mg/ml. Ce fut un échec cuisant renforcé par le fait que la vape « standard » était déjà bien trop implantée sur le vieux continent. Juul et Altria ont fini par repartir la queue entre les jambes. Parallèlement, les autorités de santé US commencent à resserrer tous les boulons à propos de la vape. James Monsees finira même devant une commission d’enquête parlementaire pour répondre des accusations que l’on porte à Juul. Bref, c’est la Bérézina.

L’entrée d’Altria au capital de Juul fut une erreur majeure. Aujourd’hui, Juul ne pèse plus que 5% de ce qu’elle était au moment de cette entrée. De plus, la FDA a mis en place un système de contrôle de tous les produits de la vape appelé PMTA. Et Juul n’est pas parmi les élus. Monsees et Bowen finiront même par être écartés du board de la société. Cela se passe souvent dans les startups ayant laissé de gros poissons entrer dans l’aquarium.

Les fumeurs en PLS

Juul aurait pu être une success story exemplaire. L’histoire d’une excellente idée qui fut galvaudée et quasi détruite par une mentalité pourrie, inapte à comprendre qu’elle évoluait dans un monde très sensible. Même certains industriels du tabac l’avaient compris. Quoiqu’on en dise, la petite Juul a fait arrêter de fumer des millions de gens. Avec la Juul, les USA avaient enregistré une chute spectaculaire du tabagisme. Et ce, grâce, il faut bien le dire, à l’adoption massive par les ados. C’est bête à dire, mais sans la Juul, combien seraient fumeurs aujourd’hui ? Le débat reste ouvert y compris chez nous. On ne peut pas promouvoir un tel produit pour les jeunes. Mais, dans ce cas, faisons ce qu’il faut pour la clope. Celle-ci hante les lycées depuis trop longtemps sans que l’on ne puisse rien y faire. On le sait, c’est très très compliqué à mettre en œuvre. Mais tout de même.

Les répercussions sur la vape

La vape, en général en a pris un sale coup. L’affaire Juul donne du grain à moudre à tous les anti-vape patentés et les marchands de doute. Et pour en rajouter une couche, n’oublions pas non plus l’affaire sous-jacente des tobacco bonds qui traîne son spectre depuis des années au pays de l’Oncle Sam. Affaire pouvant aussi expliquer cet acharnement anti-vape. De même, si on connaît les véritables conclusions d’EVALI, le mal est fait et beaucoup (trop) de gens pratiquent l’amalgame à dose industrielle. La FDA, aujourd’hui, tape très dur sur Juul mais aussi sur tout le monde de la vape libre. C’est un véritable drame pour les américains et pour nous par effet rebond. Dans la chaîne des causes et conséquences, on peut éventuellement y voir le terreau des prochaines législations anti-vape à venir.

Conclusion

Juul s’est fait dégommer pour de mauvaises raisons et les créateurs en sont très largement responsables. Et ceux qui ont pris le contrôle de la société par la suite le sont encore plus. 

En conclusion, je vous recommande vivement le visionnage de cette mini-série. Elle est édifiante à plus d’un titre sur ce qu’il ne faut pas faire avec la vape. Globalement, le pour et le contre sont assez bien représentés même si le pour n’a pas le même traitement que le contre selon moi. Évidemment, la série a été produite aux US et la crispation semi-hystérique contre Juul a fait de gros dégâts là-bas. Pour autant, si on suspend son jugement deux minutes, il est quand même bien expliqué que la vape sauve des vies. N’en déplaise aux détracteurs, à commencer par l’inénarrable Stanton Glantz, par ailleurs intervenant dans la série. Ce qui m’a surpris, c’est que les créateurs de Juul ont consulté Glantz dans les tout débuts. Et celui-ci semblait intéressé par l’idée même s’il a prévenu qu’en matière de santé publique, il faut être prudent. Pour le coup, Bowen et Monsees ne l’ont pas écouté et les conséquences furent sévères. Depuis, Glantz est devenu le porte-flingue de Michael Bloomberg et ne manque aucune occasion de démolir la vape. Pendant ce temps, Juul est en train de mourir à petit feu.

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