Fraude sur le tabac : un commissaire démissionne.
Mercredi, le pouvoir exécutif de l’Union Européenne faisait face à un scandale grandissant après la démission d’un haut commissaire à la Santé, cité pour trafic d’influence dans une enquête sur une fraude liée au tabac.
John Dalli, commissaire à la Santé et à la Consommation, dont la mission inclut des questions sensibles comme la sécurité des aliments et des produits pharmaceutiques, déclare qu’on lui a demandé de démissionner mardi, une décision pratiquement sans précédent à Bruxelles.
Dans des interviews, le commissaire maltais clame son innocence et se dit victime du lobby du tabac pour avoir prévu d’introduire des règles strictes afin de rendre la cigarette moins attractive. Ces mesures vont devoir maintenant être ajournées jusqu’à ce que Malte propose un nouveau candidat pour rejoindre la Commission Européenne de 27 membres. « Le fait que cette directive ne verra pas le jour constitue un bénéfice considérable pour l’industrie du Tabac » dit Dalli dans une interview sur le site web de New Europe.
En février, il avait étudié des propositions pour rendre l’emballage du tabac moins attractif et renforcer la réglementation sur les parfums ajoutés ainsi que sur les produits sans tabac comme le « snuff »(tabac à priser) et les cigarettes électroniques.
« Je réfute catégoriquement tout soupçon de corruption » affirme-t-il à plusieurs reprises.
La Commission Européenne a annoncé sa démission la veille « avec effet immédiat » suite à une enquête menée par OLAF, le bureau antifraude européen, dans le cadre d’une plainte déposée par le producteur de tabac Swedish Match.
Souhaitant couper court à tout bruit de corruption à un moment où Bruxelles accroît son pouvoir sur les budgets nationaux, la commission dit que la compagnie suédoise a allégué en mai qu’un entrepreneur maltais lié à Dalli avait tenté de faire échouer ses nouvelles propositions en échange d’argent. Le lobbyiste s’est servi de ses contacts avec Dalli « pour essayer de tirer des avantages financiers de la compagnie en échange de ses efforts pour influencer une éventuelle proposition législative à venir sur les produits liés au tabac, en particulier l’interdiction d’exportation du « snus » en Union Européenne ».
Le snus, ou tabac à priser suédois, connu dans certains pays sous le nom de Nas, est une poudre de tabac humide tirée du snuff sec. Bien que sa vente soit interdite en UE, il est fabriqué et utilisé en Suède par dérogation et en Norvège, pays qui n’est pas membre de l’Union Européenne.
« Aucune transaction n’a été conclue et aucun paiement effectué » déclare dans une nouvelle conférence sur cette affaire la porte-parole de la Commission, Pia Ahrenkilde Hansen. « OLAF n’a trouvé aucune preuve de la participation de M. Dalli à ces évènements mais a de fait considéré qu’il n’en avait eu aucune connaissance » a-t-elle affirmé.
Bruxelles n’a pas donné le nom du lobbyiste, mais un entrepreneur maltais, Silvio Zammit, a fait une déclaration mercredi pour récuser les charges. « Je maintiens catégoriquement que je n’ai jamais reçu le moindre paiement de la compagnie suédoise Swedish Match », dit-il. « Mon rôle de lobbyiste a été correct, en conforme aux pratiques habituelles », ajoute-t-il, écartant l’enquête d’OLAF comme « infondée et erronée ».
Le rapport d’OLAF sera envoyé aux autorités maltaises pour un examen judiciaire.
Dans la vidéo et d’autres déclarations faites dans les média maltais, Dalli dit que c’est le président de la Commission, Jose Manuel Barroso, qui lui a demandé sa démission au cours d’une brève entrevue mardi, bien qu’il soit innocent et que l’on ne lui ait même jamais montré le rapport d’OLAF.
Lors d’une conférence de presse sur ce sujet, Giovanni Kessler, le chef d’OLAF, déclare : « il n’y a aucune preuve formelle» que Dalli « ait été impliqué comme instigateur ou cerveau de cette affaire ». Mais Kessler souligne qu’il y a « un nombre significatif de preuves indirectes… qu’il était en fait au courant des requêtes de l’entrepreneur maltais et savait que cette personne utilisait son nom et sa position ». Interrogé pour savoir si Dalli était en infraction avec le code de bonne conduite ou s’il n’avait en fait rien fait de mal, Kessler dit : « Il était au courant qu’une personne proche de lui demandait de l’argent à une compagnie pour utiliser son influence sur le commissaire dans le but de modifier la politique de la commission ». « Il n’a rien fait pour éviter cela » ajoute-t-il. « Ce n’est pas une fraude mais quelque chose de mal ».
Le montant des sommes demandées – bien que jamais payées – lors des contacts entre le lobbyiste anonyme et la firme suédoise était « plutôt élevé » dit le responsable de l’enquête.
« La démission du commissaire Dalli montre à quel point le pouvoir de l’industrie du tabac peut influencer et saper les décisions de ceux qui s’efforcent de défendre la santé publique » dit l’Alliance Européenne pour la Santé Publique, un réseau d’Organisations Non Gouvernementales. « Nous espérons que cela ne va pas aboutir précisément au résultat que le lobby du tabac recherchait : bloquer une directive ultérieure renforcée et plus stricte sur le tabac ».